Bercy vient de perdre une manche de son bras de fer avec E.Leclerc. En 2018, le distributeur est poursuivi par la DGCCRF pour avoir imposé à une vingtaine de fournisseurs des remises de prix de 10% supplémentaires, non prévues dans les contrats et sans contreparties. L’enseigne risquait alors 25 millions d’euros d’amende et 83 millions de remboursement de l’indu, soit 108 millions au total. «Au terme de 3 ans d’enquête – entre 2015 et 2017 – les enquêteurs de la DGCCRF ont mis en lumière que la centrale d’achat du premier distributeur français (le Galec) aurait imposé des remises inexpliquées de 10% sur les contrats de plusieurs produits alimentaires de grandes marques, systématiquement présents chez l’un de ses concurrents hard-discounter, et ce sur trois années consécutives», lisait-on à l’époque. Et tout le monde avait reconnu Lidl. On parlait même de la «taxe Lidl».
Ce que dit le Tribunal de commerce:
Mais le tribunal de commerce de Paris n’a visiblement pas été de cet avis puisqu’il vient de débouter le ministre de l’Economie et des Finances de ses demandes.
Le sujet de cette affaire porte donc sur les contre-parties et les avantages tarifaires. Donc de savoir s’ils ont été réels, sur-valorisés ou inexistants.
Deux avocats contactés par LSA restent néanmoins assez étonnés de ce verdict. «C’est assez inexplicable» dit l’un d’entre eux, «l’erreur de Bercy a probablement été de se baser que sur un seul article, l’article L 442-6-I-1 du code de commerce, alors qu’il aurait pu ou du en nommer plusieurs ». D’autant plus que l’article L 442-6-I-2 traite du déséquilibre significatif alors que l’article L 442-6-I-1 concerne seulement la proportion entre le service rendu par le distributeur et l’avantage économique consenti par le fournisseur. “Et dans ce cas présent c’était une remise et non pas la rémunération d’un service. Le ministre a donc mal fondé son action“, explique un avocat. Olivier Leroy, avocat associé chez CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon, complète l’analyse: “Appelée à se prononcer sur le fondement de L.442-6, I, 1°, la Cour d’appel de Paris a ainsi considéré, à la faveur d’un arrêt du 4 novembre 2020, que cette disposition ne peut être mobilisée et justifier une sanction qu’en cas de disproportion du prix payé par l’industriel et d’un service. En revanche, ce texte ne s’applique pas au contrôle des réductions de prix. Le jugement du 11 mai 2021 reprend strictement le raisonnement de la Cour d’appel de Paris, tel qu’énoncé à la faveur de son arrêt du 4 novembre 2020. Inspiré par les termes de la décision du Conseil Constitutionnel, les juges invitent ainsi le ministre à choisir un autre fondement que l’article L.442-6, I, 1° du code de commerce, dès lors qu’il entend critiquer la validité des réductions de prix négociées auprès des industriels. En l’occurrence, l’article L.442-6, I, 2° du code de commerce apparaît le seul fondement pertinent. Cette disposition obligera alors le ministre à démontrer, non seulement l’existence d’un déséquilibre significatif entre la réduction de prix consentie par l’industriel et la contrepartie à laquelle le distributeur s’est engagée, mais également l’existence d’une soumission ou d’une tentative de soumission de l’industriel… Ce raisonnement s’inscrit dans la suite de la décision du Conseil Constitutionnel du 30 novembre 2018».
En attendant, Bercy fera probablement appel. Et comme il s’agit d’un jugement sur le fond et non d’un référé, il faudra bien attendre 18 mois avant de connaître le prochain épisode de cette affaire aux multiples rebondissements.
Ce que conclut le Tribunal de Commerce
Les industriels concernés: